Réhabiliter notre Histoire

Voici un siècle, dans son œuvre en quatre volumes intitulée "Histoire partiale, Histoire vraie", l’historien Jean Guiraud, spécialiste de l’histoire de l’Église et professeur d’histoire et de géographie de l’Antiquité et du Moyen Âge à l’université de Besançon, dénonçait les erreurs et mensonges historiques que renferment les manuels scolaires : l’Histoire la plus généralement admise enseigne, selon lui, ce qui est faux, et induit un désamour de notre passé, doublé d’une haine de l’Ancien Régime, afin de mieux glorifier une République « donnant au monde la paix et la liberté ». 
Les "ignorants" du Moyen Age ont
élevé des cathédrales 
Pour Jean Guiraud, la plupart des faiseurs de manuels d’Histoire pèchent par une instruction superficielle qui leur a dispensé « quelques clartés de tout » sans leur permettre de rien approfondir et étudier par eux-mêmes, leur donnant à la fois un simple vernis de culture et une foi imperturbable en leur modeste bagage scientifique, fait uniquement d’emprunts et de connaissances livresques.
De là une facilité toute particulière à se lancer dans des inductions dont ils ne soupçonnent pas la témérité ou la fausseté, une tendance fâcheuse aux généralisations les plus aventureuses, fruit naturel d’esprits simplistes et niaisement sûrs d’eux-mêmes. Compilateurs sans originalité, ils manquent de sens critique et ainsi leur documentation est faite sans discernement, selon le hasard, ou, ce qui est encore plus grave, d’après les passions politiques et religieuses du jour.
Sous leur plume se pressent les affirmations les plus fantastiques et les assertions les plus naïves, d’un pessimisme farouche, quand l’époque décrite a le malheur de leur déplaire, d’un optimisme rêveur et béat, lorsqu’elle a la bonne fortune de leur agréer. 
Le Moyen Age est représenté comme une époque de misère et de désespoir. 
Notre historien prend l’exemple du célèbre manuel d’histoire de l’époque édité par la librairie Delaplane, signé J. Guiot — professeur d’école normale, directrice de l’école annexe à l’école normale d’Aix — et F. Mane — professeur de septième au lycée de Marseille. 
Voyez quelle sombre description elle nous trace du Moyen Age :
* Page 35 du Cours moyen, Guiot et Mane nous décrivent la féodalité, « cette époque excessivement malheureuse..., cet affreux régime » où le seigneur est un guerrier brutal, cruel, ignorant (p. 36), foulant les moissons dorées (p. 37). Plus loin : « Le Moyen Age est l’époque des épouvantables famines ; alors sur les chemins les forts saisissent les faibles, les déchirent et les mangent ! Quelques-uns présentent un fruit à un enfant, ils l’attirent à l’écart pour le dévorer ! »
La féodalité "invente" l'amour courtois
* Page 34 du Cours élémentaire, on lit : « Le seigneur est constamment en guerre, ses plaisirs sont cruels..., le Moyen Age est l’époque des affreuses famines : le paysan mange l’herbe des prairies, les forts saisissent les faibles, les déchirent et les dévorent..., bien peu d’enfants reçoivent l’instruction..., plaignons les écoliers ; ils sont constamment battus de verges (p. 35)... Que font ces enfants à l’école ? Tous pleurent ! » Et le résumé affirme gravement qu’ « au Moyen Age le sort du paysan est affreux : il vit dans l’épouvante et travaille gratuitement pour le seigneur..., dans les rares écoles les enfants sont constamment fouettés.
Les bons élèves sont récompensés, les mauvais élèves réprimandés
* Enfin le Cours préparatoire écrit (p. 30) : « Qu’il est triste le village d’il y a mille ans ! C’est la misère noire..., le paysan pleure et se désole à la vue du château qui lui rappelle qu’il est serf... Ses enfants ne lui appartiennent pas ; ils peuvent être vendus, le fils est séparé de son père, et la fille de sa mère. »
Retour de chasse d'un père et ses fils
A quel homme tant soit peu instruit, ou simplement de bon sens fera-t-on admettre que les choses se passaient ainsi « il y a mille ans » ? 
Dans quel pays, si déshérité qu’on le suppose, tous les enfants, sans exception, pleurent ils dans les écoles, parce qu’ils sont sans cesse battus de verges ? Concevez-vous une école où le maître passe tout son temps à fouetter les enfants et où tous les enfants sont uniquement occupés à pleurer ? 
Mais quand donc le maître enseignait-il ? Quand donc les enfants faisaient-ils leurs devoirs et récitaient ils leurs leçons ? C’est ce que nous racontent Guiot et Mane : « tous les enfants pleurent..., parce qu’ils sont constamment battus de verges ! » 
Ce n’est pas de l’histoire de France, c’est plutôt une histoire de loup-garou destinée à effrayer les petits enfants !
Ménestrel et troubadour
Enfants au Moyen Age
A quel homme raisonnable fera-t-on croire que dans ce pays, que la poésie populaire du Moyen Age a appelé la « douce France », TOUS les paysans pleuraient devant le château du seigneur, comme leurs enfants sous le fouet du maître, qu’ils ne se nourrissaient QUE D’HERBE et qu’ils étaient dépouillés de leurs fils vendus comme esclaves ? 
A qui fera-t-on croire que la France du Moyen Age était un pays de cannibales où les forts, au lieu de manger la viande des moutons ou des bœufs, absorbaient la chair des faibles, où, dès qu’un enfant sortait sur la route, on lui présentait une pomme pour l’attirer à l’écart, et le manger ! C’est là une histoire d’ogres et non une histoire de France !
Remarquez d’ailleurs que les documents protestent contre les traits d’un pareil tableau. Nous avons des inventaires de granges, de fermes, de maisons de paysans au Moyen Age. Le dénombrement de leurs provisions nous prouve qu’ils vivaient non d’herbe — à moins que ce ne fût de la salade ! — mais de viande de mouton et de porc — plus rarement de bœuf — de veau quand on était malade, de salaisons, de poissons frais ou salés, et de légumes.
Henri IV instaure la poule au pot
Nous avons plusieurs lois des empereurs chrétiens du IVe siècle interdisant formellement de séparer un esclave de sa femme et de ses enfants. Quant à la famille du serf, un tout petit raisonnement aurait prouvé à Guiot et Mane qu’elle ne pouvait pas être dispersée par le seigneur, puisqu’elle était attachée à la glèbe, et que, par conséquent, s’il ne lui était pas permis de quitter la terre où elle vivait, on n’avait pas non plus le droit de l’en détacher, et d’en vendre isolément les membres.
Enfin, M. Luchaire, professeur à la Sorbonne et membre de l’Institut, déclare avec raison dans "La Grande Histoire de France" de Lavisse, qu’à la fin du XIIe siècle, c’est-à-dire en pleine féodalité, il n’y avait que peu de serfs et qu’en tout cas, ils ne devaient pas tout leur travail au seigneur. 
« On constate qu’au début du XIIIe siècle, les affranchissements individuels ou collectifs ont diminué beaucoup le nombre des serfs. Les terres, qui ont la malheureuse propriété de rendre serfs ceux qui les habitent, ont été graduellement absorbées par les terres libres. L’hérédité même du servage est atteinte.
Quant aux bienfaits de la Révolution : un mythe particulièrement vivace bien que très tôt dénoncé.
« Rien n’est aussi triste, pour de bons Français, que l’histoire de la Révolution, car elle est celle du suicide de la patrie. Mais rien n’est aussi salutaire, car il faut connaître le mal pour le guérir », assure l’historien Gustave Gautherot.
Aux yeux des Français d’aujourd’hui, notre pays, avant 1789, n’était qu’un sombre cloaque où de nombreuses larves, nos ancêtres, se débattaient dans l’abrutissement et la misère. Pour eux, l’histoire de France n’est que l’histoire des événements qui ont, leur semble-t-il, préparé ou annoncé la Révolution. La Révolution elle-même constitue l’événement unique, attendu depuis des siècles, le centre de l’histoire de la France et du monde. Tout ce qui l’a précédé, institutions politiques, sociales, militaires, religieuses, victoires, fondations, conquêtes, est condamnable ou méprisable. Or, pour répandue qu’elle soit, cette mentalité est pourtant diamétralement contraire à la vérité historique. 
En dix siècles de progrès continu, la France de Hugues Capet était incontestablement devenue la première nation du monde. Comment, dès lors, expliquer qu’aux réformes, certes nécessaires et par ailleurs déjà entamées à la fin du XVIIIe siècle, on ait préféré substituer une révolution faisant « table rase » du passé ?
La France de l’Ancien Régime fut, contrairement à une idée reçue, un gouvernement d’opinion publique ; que la famille opposait alors un rempart infranchissable au despotisme de l’État.
Il nous révèle quels furent les creusets les plus actifs de l’esprit révolutionnaire tout au long du XVIIIe siècle, recense les principes affichés de 1789 et nous explique comment, sous couvert de « libéralisme » et sous le prétexte qu’il fallait « suivre son siècle », on assimila ces principes à des « conquêtes », lesquelles justifièrent de passer l’éponge sur le sang répandu. 
Il dénonce l’imposture des cahiers de doléances qui, loin de refléter l’opinion réelle du peuple français de l’époque, ne sont que le produit artificiel des menées des philosophes des Lumières. 
Il effectue le décompte macabre des victimes de la Révolution, en majorité issues du peuple, périssant sur la guillotine ou dans la « baignoire nationale ». 
La république s'impose dans le sang
Il montre que la Terreur ne fut pas seulement le règne de la cruauté, mais aussi celui de la lâcheté, et explique comment le Directoire, époque de conspirations et de scandales, parvint à se maintenir par les plus odieux attentats, cassant notamment toutes les élections ne lui étant pas favorables...
« Il est de mode, écrit Fénelon Gibon, de se réclamer des grands mots de souveraineté nationale, de démocratie qui, étymologiquement, est le règne du peuple. Or ce gouvernement direct qu’instituèrent les pères de la Révolution, s’inspira « d’une tout autre volonté que de la majorité des Français, égarés par la piperie des mots ».
La Révolution, fruit des manœuvres d’une poignée de conspirateurs admirablement organisés agissant, tant avant qu’après la « prise », de la Bastille, au détriment de l’intérêt général, ne s’est pas seulement faite sans le peuple, mais contre lui.
Peut être serait-il temps d’ouvrir les yeux ?
La représentation pessimiste de cette période de l’Histoire de France relève d’une position héritée des Lumières et de l’idée de progrès, et rejette pêle-mêle la religion, la philosophie, les valeurs et les efforts déployés par nos ancêtres pour faire face à l’adversité et à la précarité de leurs conditions d’existence. Leurs descendants ont souvent trouvé que l’industrialisation et l’exode rural du XIXe siècle avaient rendu les conditions de vie bien plus pénibles, accréditant ainsi le souvenir d’un temps sinon béni, du moins agréable.
Sous le règne des Bourbons, l’existence était rude : climat éprouvant, alimentation déficiente, spectacle permanent de la mort et des maladies incurables. À ces conditions s’ajoutait le cadre rigide d’une société figée dans des hiérarchies immuables, révérant un souverain lointain et courbant sous le poids d’une religion traditionnelle.
Pourtant, les hommes étaient heureux. Ils le disent, l’écrivent, le chantent. Leurs témoignages, mémoires, journaux intimes, récits, louent un art de vivre à la française, le goût d’une culture singulière, d’un patrimoine, d’une gastronomie enviée, de codes comportementaux élégants. 
Dès lors, comment expliquer que la Révolution française ait pu s’élever contre une telle conception de la société et des rapports humains ?
Il est grand temps que les nouvelles générations apprennent la vérité sur le passé de leur pays qui était au moment de la révolution le PREMIER PAYS AU MONDE.
Pour mieux comprendre : L’historienne Agnès Walch, professeur des universités, est spécialiste de l’Ancien Régime. Elle répond à cette question en explorant la vie quotidienne des Français sous l’Ancien Régime. Dans un grand récit nourri aux meilleures sources et écrit d’une plume enlevée, elle donne à voir et à entendre les voix d’un passé oublié qui sut conjuguer la rudesse et la « douceur de vivre » selon la formule de Talleyrand. 
La vie sous l’Ancien Régime, par Agnès Walch. Éditions Perrin - 368 pages. Format : 14,2 x 21,2 cm. 24 euros - ISBN : 978-2-262074340.

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